Gertrud Bing. Fragments sur Aby Warburg
Presentazione del volume edito da Institut National d’Histoire de l’Art, Paris 2019
Philippe Despoix e Martin Treml
English abstract
Pubblichiamo per gentile concessione dell’editore (Institut National d’Histoire de l’Art) e degli autori Philippe Despoix e Martin Treml un estratto della Presentazione che introduce la prima pubblicazione di testi di Gertrud Bing, storica dell’arte, filosofa e stretta collaboratrice di Aby Warburg. Il volume Fragments sur Aby Warburg, che oltre la presentazione è accompagnato da una Prefazione di Carlo Ginzburg, presenta per la prima volta gli scritti inediti, tradotti in francese dagli originali in tedesco e inglese, fra i quali i testi che Gertrud Bing, fino a poco prima della morte, andava predisponendo al fine di pubblicare la biografia di Aby Warburg. Le traduzioni dall’inglese e dal tedesco sono di Diane Meur, quelle dall’italiano di Philippe Despoix e Hervé Joubert-Laurencin.
Sommaire
Avant-propos, Carlo Ginzburg |
11 |
Présentation, Philippe Despoix & Martin Treml |
21 |
Textes de Gertrud Bing |
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I. 1958 |
47 |
II. 1960 |
89 |
III. 1962 |
97 |
IV.1963 |
115 |
V. 1962-1964 |
132 |
VI. c.1964 |
183 |
In memoriam |
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VII. 1964-1965 – Arnaldo Momigliano |
239 |
Bibliographie |
255 |
Auteurs |
263 |
Légendes et crédits |
265 |
Remerciements |
267 |
Gertrud Bing, la bibliothèque Warburg et le projet d’une biographie intellectuelle de son fondateur
Présentation, Philippe Despoix et Martin Treml
La redécouverte et la diffusion encore récentes des principaux écrits d’Aby Warburg ont eu pour effet paradoxal de masquer quelque peu le contexte dans lequel ses recherches se sont déployées : ses méthodes de travail, l’organisation singulière de sa bibliothèque et le collectif qui l’animait dès l’origine. Si l’on a pu affirmer que sa bibliothèque des Sciences de la Culture, la Kulturwissenschaftliche Bibliothek Warburg (KBW), constituait son œuvre la plus durable, l’établissement de ce qui devint un Laboratorium sur la dimension mnésique des images fut au moins autant l’ouvrage de Fritz Saxl que de Warburg, ainsi que de sa plus proche collaboratrice, Gertrud Bing, en charge du fonctionnement de la bibliothèque [1].
Une première biographie de Saxl ainsi qu’un choix de sa correspondance avec Warburg ont paru en allemand, et deux de ses études ont récemment été rééditées [2]. Rien de tel pour Bing, dont on se souvient surtout comme de l’interlocutrice puis de l’éditrice de Warburg. Elle sauva pourtant, avec Saxl, la bibliothèque de la menace nazie et fut, avec lui, la principale force de reconstitution de l’Institut à Londres après 1933. Le fait que Bing ait peu publié a contribué à rendre presque invisible une contribution unique qui fut une tâche sans répit d’organisation de la bibliothèque et de son dense réseau de recherche. La trace de son œuvre de transmission se trouve d’abord dans ses multiples éditions et son immense correspondance.
Le but de notre volume est modeste : il présente et met en contexte les fragments du dernier projet de Bing, celui d’une biographie intellectuelle de Warburg, qu’elle laissa inachevée à sa mort. Mené à terme, ce travail aurait sans aucun doute modifié la perception de l’homme, de ses modes de recherche et de la dynamique de sa pensée, au moment même – à partir de la fin des années 1960 – où l’on commençait à redécouvrir, d’abord en Italie puis en Allemagne, l’historien et le théoricien de l’art et de la culture exceptionnellement novateur qu’il a été.
[...]
Le dernier projet d’une biographie intellectuelle d’Aby Warburg
Il semble que l’idée d’une biographie intellectuelle du fondateur de la bibliothèque ait été envisagée dès la fin des années 1930. Peu avant la guerre, Carl Georg Heise – qui avait été proche de Warburg – avait encouragé Bing à s’atteler à un tel projet. Saxl paraît même y avoir pris part dans les années suivantes puisqu’il existe un manuscrit de sa main esquissant en anglais une biographie de Warburg [38].
Mais l’une des impulsions déterminantes pour la reprise du projet a sans doute été l’invitation que Bing, alors directrice de l’Institut, reçut en 1958 de la ville de Hambourg pour venir prendre officiellement la parole lors de la réexposition du buste d’Aby Warburg dans la Kunsthalle. Après quelques hésitations, Bing répondit positivement à ce qui était un geste visible de “ réconciliation ” politique de la part du sénat de la ville hanséatique et brossa un portrait très personnel du savant et de son ancrage hambourgeois. Mais elle en souligna en même temps la dimension internationale et la judéité à travers la formule de Warburg qui devait devenir célèbre “ Ebreo di sangue, Amburghese di cuore, d’anima Fiorentino ” [39]. L’invitation de Bing à cet hommage venait du sénateur à la culture, Hans Harder Biermann-Ratjen, qui avait lui-même fréquenté les conférences de la KBW dans les années 1920. Il devint, en tant que représentant du sénat de Hambourg, l’un des médiateurs du soutien au projet d’une biographie intellectuelle de Warburg.
C’est toutefois seulement à partir du moment où elle prit sa retraite, fin 1959, que Bing put envisager d’entreprendre ce travail, pour lequel elle comptait sur l’appui direct d’Eric M. Warburg, neveu d’Aby et fils de Max, réinstallé à Hambourg depuis les années 1950. La première trace en est une lettre à ce dernier esquissant l’idée d’une biographie intellectuelle sur le modèle anglophone des Life and Letters [40], et insistant, comme Bing le fit ensuite à plusieurs reprises, sur l’importance de la correspondance scientifique pour connaître le réseau et la portée d’un savant qui, comme Warburg, avait finalement peu publié.
Les premières démarches pour obtenir un soutien auprès du sénat de Hambourg s’avérant difficiles, Bing se tourna dans un second temps, au printemps 1962, vers une fondation américaine en vue d’un financement alternatif : la Fondation Bollingen. Elle connaissait l’un de ses conseillers, Siegfried Kracauer, qui avait plusieurs fois fréquenté l’Institut à Londres les années précédentes et avec lequel elle entretenait une correspondance personnelle depuis 1958. En lui envoyant une copie de sa lettre officielle à la secrétaire de la fondation, Vaun Gillmor, Bing s’assurait de la justesse de sa démarche et de la sympathie, voire du soutien que Kracauer pourrait apporter au projet depuis l’intérieur [41]. Le titre donné à la demande de bourse auprès de la Fondation Bollingen, comme son exposé révélaient un changement d’accent dans la monographie en vue. “ A study of the life and writings of Aby M. Warburg, founder of the Warburg Institute ” y était présenté comme une recherche en deux temps : l’étude des écrits de Warburg supposait une analyse préalable de la singularité de son langage avant de pouvoir être articulée à une biographie intellectuelle, construite à partir de son immense correspondance.
Les négociations avec le sénat de Hambourg finirent cependant par aboutir à un soutien financier sous condition, qui fut annoncé à l’automne 1962. La longue lettre que Bing écrivit l’année suivante au sénateur Biermann-Ratjen se voulait un état des lieux de son travail faisant suite au classement des matériaux d’archives. Ce “ rapport intermédiaire ” informel – piqué d’anecdotes warburgiennes – esquissait le plan d’une monographie mettant désormais en relief l’impact de Warburg sur sa discipline, la spécificité de son langage, sa correspondance scientifique et ses activités publiques, plus que l’écriture purement biographique [42].
À la lecture de ces documents, on ne peut se départir de l’impression d’une course contre le temps pour s’assurer les soutiens extérieurs nécessaires à la réalisation de ce projet, qui fut sans doute le plus personnel de Bing. Celle-ci ne pourra profiter que peu de temps des bourses qui lui furent finalement accordées à partir de l’été 1963 et par le sénat de Hambourg et par la Fondation Bollingen. Ce double financement posait néanmoins le problème concret de la langue dans laquelle écrire la biographie intellectuelle.
C’est la conférence sur Aby Warburg que Bing avait prononcée au Courtauld Institute en décembre 1962 qui fixa la base pour une dernière phase, décisive, du travail. Remanié en anglais et augmenté d’une longue introduction en allemand, le manuscrit de cette conférence devait servir d’essai introductif à l’édition italienne aux écrits de Warburg alors en préparation. Il fut publié en anglais de manière posthume en 1965, dans le Journal de l’Institut [43], avant de l’être en italien lors de la sortie, en 1966, du volume La rinascita del paganesimo antico. Ce texte, le seul qui s’appuyait sur des images et certainement le plus poussé de Bing sur l’apport spécifique de Warburg, faisait du fondateur de la bibliothèque une figure classique qu’il s’agissait désormais de transmettre à la postérité comme un rénovateur des sciences de la culture.
Mais, parmi les papiers restés dans sa maison de Dulwich à la suite du décès de Bing, le 3 juillet 1964, se trouvait encore un manuscrit en allemand composé de deux fragments dont le second, plus long, était pour l’essentiel consacré à une microanalyse du langage et des concepts forgés par Warburg [44]. Il s’agit de fragments historiques et théoriques dont la structure suit clairement les premiers développements de sa pensée en l’ancrant dans le contexte de son époque : véritable “ matrice conceptuelle de [cette] biographie jamais écrite ”, note à ce propos Carole Maigné, “ où l’analyse du langage de Warburg, de ses mots et de sa voix, doit conduire au cœur de son entreprise historienne, de son projet iconologique comme de son analyse de la culture ” [45]. Le manuscrit s’interrompt toutefois après une vingtaine de pages, sans qu’aient pu être abordés les concepts aujourd’hui plus connus tels que Pathosformeln, Wanderstrassen ou Bilderfahrzeuge…
Il serait sans doute osé d’affirmer que ces deux derniers textes, à l’intelligence warburgienne probablement indépassée, constituent déjà des chapitres du livre en gestation, interrompu par la mort de son auteure. Toutefois, en dépit de leur caractère fragmentaire, ces documents, dont l’ensemble est rassemblé et traduit ici pour la première fois, autorisent une appréciation précise de la direction vers laquelle tendait cet ultime projet de Gertrud Bing. Ce qu’elle disait, dans son dernier essai sur Warburg, de la “ puissance qui émane du fragment ” qu’était restée son œuvre, est vrai de la biographie intellectuelle que Bing voulut lui consacrer : le texte laisse au lecteur le soin d’en imaginer les nécessaires prolongements [46]. Pourtant, que le projet soit resté inachevé a sensiblement changé les modalités de réception de la pensée warburgienne. C’est le livre de Gombrich, Aby Warburg. Une biographie intellectuelle, paru en 1970, qui, d’abord conçu comme un commentaire de l’atlas Mnémosyne, en complément de la biographie intellectuelle entreprise par Bing, prit finalement la place du double projet – transmettant à la postérité une image de Warburg plus distanciée et plus énigmatique que celle, sûrement autre, que Bing eût offerte.
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Notes
1. Aby Warburg, “ Vom Arsenal zum Laboratorium ” (1927), dans Werke in einem Band, éd. Martin Treml, Sigrid Weigel et Perdita Ladwig, Berlin, Suhrkamp, 2010, p. 683-694 ; trad. fr. “ De l’arsenal au laboratoire ”, dans id., Fragments sur l’expression, éd. Susanne Müller, Paris, L’Écarquillé, 2015, p. 289-298.
2. Dorothea McEwan, Fritz Saxl – Eine Biografie. Aby Warburgs Bibliothekar und erster Direktor des Londoner Warburg Institutes, Vienne / Cologne / Weimar, Böhlau, 2012 ; id., Ausreiten der Ecken. Die Aby Warburg – Fritz Saxl Korrespondenz 1910 bis 1919, Hambourg, Dölling u. Galitz, 1998 et Wanderstrassen der Kultur. Die Aby Warburg – Fritz Saxl Korrespondenz 1920 bis 1929, Hambourg, Dölling u. Galitz, 2004 ; Fritz Saxl, Gebärde, Form, Ausdruck, Zwei Untersuchungen, présenté par Pablo Schneider, Zurich, Diaphanes, 2012.
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38. Elizabeth Sears, “ Warburg Institute Archive, General Correspondence ”, Common Knowledge, vol. XVIII, no 1, hiver 2012, p. 39 et note 20. Le manuscrit de Saxl – 71 pages dont certaines se retrouvent dans son “ Histoire de la bibliothèque de Warburg ” – sembledater de 1944 (voir Dorothea McEwan, Fritz Saxl – Eine Biografie, op. cit., p. 299 et suiv.).
39. “ Aby M.Warburg, Vortrag von Frau Professor Dr Gertrud Bing anlässlich der feierlichen Aufstellung von Aby Warburgs Büste in der Hamburger Kunsthalle am 31. Oktober 1958, Hamburg, Kulturbehörde der Freien und Hansestadt Hamburg ”, 1958 ; version originale et traduction dans G. Bing, Fragments sur Aby Warburg, éditès et présentés par P. Despoix et M. Treml, Paris 2019, p. 47.
40. “ Brief an Eric Warburg ”, [décembre 1960], WIA, GC ; version originale et traduction dans G. Bing, Fragments sur Aby Warburg, éditès et présentés par P. Despoix et M. Treml, Paris 2019, p. 89.
41. “ Lettres à Siegfried Kracauer et à Vaun Gillmor ”, voir, dans G. Bing, Fragments sur Aby Warburg, éditès et présentés par P. Despoix et M. Treml, Paris 2019, p. 97 ; Bing ne sut vraisemblablement jamais que ce fut en fait Kracauer qui évalua positivement sa proposition pour la Fondation Bollingen à l’automne 1962.
42. “ Brief an Senator Biermann-Ratjen ” (1963), WIA, Gertrud Bing Papers ; original et traduction dans G. Bing, Fragments sur Aby Warburg, éditès et présentés par P. Despoix et M. Treml, Paris 2019, p. 115.
43. “ A.M.Warburg ”, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, vol. XXVIII, 1965, p. 299-313 ; original et traduction dans G. Bing, Fragments sur Aby Warburg, éditès et présentés par P. Despoix et M. Treml, Paris 2019, p. 132.
44. “ On Warburg’s Language ”, WIA, Gertrud Bing Papers ; original et traduction dans G. Bing, Fragments sur Aby Warburg, éditès et présentés par P. Despoix et M. Treml, Paris 2019, p. 183.
45. Pour une analyse très précise de ce texte de Bing, voir l’essai de Carole Maigné, “ Kollege Bing ”, Revue germanique internationale, no 28, 2018, p. 125-141, ici p. 127.
46. Gertrud Bing, “ A.M.Warburg ”, Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 1965, p. 302 ; original et traduction dans G. Bing, Fragments sur Aby Warburg, éditès et présentés par P. Despoix et M. Treml, Paris 2019, p. 132 et suiv.
English Abstract
Courtesy of the editor, Institut National d’Histoire de l’Art, and the authors Philippe Despoix and Martin Treml, we publish the Contents and an extract of the Introduction to the first publication of texts by Gertrud Bing, art historian, philosopher and close collaborator of Aby Warburg. The volume Fragments sur Aby Warburg (Paris 2019) presents the unpublished texts, translated into French from the originals in German and English, which Gertrud Bing, until before his death, was preparing with the aim of publishing an intellectual biography on Aby Warburg, as well as documents and correspondence that confirm the events related to the drafting of these and other writings.
keywords | Gertrud Bing; Aby Warburg; The Warburg Institute
To cite this article: P. Despoix, M. Treml, Gertrud Bing. Fragments sur Aby Warburg. Presentazione del volume edito da Institut National d’Histoire de l’Art, Paris 2019, Einaudi, Torino 2019, “La Rivista di Engramma” n. 171, gennaio-febbraio 2020, pp. 169-178 | PDF of the article